“ Lafayette, mars 1996 „

Le plus dur dans cette histoire, c’est de trouver le courage de l’annoncer. Même si mes parents étaient très ouverts d’esprit et compréhensifs, il restait mes frères, tous plus âgés que moi et bien évidemment, plus machos les uns que les autres. De plus, j’avais une fierté et une certaine réputation à entretenir au lycée. Je ne voulais certainement pas devenir le « sale pédé », le « fag » comme mes potes disaient. C’est pourquoi je m’étais créé un personnage afin de ne pas éveiller les soupçons sur mon orientation sexuelle et ça a marché. Jusqu’au jour où j’en ai eu ras-le-bol de me cacher continuellement. C’est en 1996, plusieurs semaines avant mes dix-huit ans, que j’ai pris la décision de tout dire à ma famille. Tant pis si mes parents réagissaient mal et tant pis si mes frères me charriaient, il fallait que je me débarrasse de ce fardeau à tout prix. C’était un samedi à l’heure du repas, tout le monde était assis et mangeait. Le samedi, c’était le « jour en famille ». Mes trois frères rentraient du campus et le plus vieux laissait son appartement vide durant une soirée pour rester avec nous. Contrairement à la plupart des familles des États-Unis, nous ne faisions pas la prière. Mes parents étaient certes chrétiens, mais pas du tout pratiquants, ce qui était en quelque sorte, une aubaine pour moi. Le dîner se terminait, mon père buvait une gorgée de vin rouge et ma mère commençait à débarrasser la table avec l’aide de deux de mes frères ainés, les deux autres avaient repris une deuxième assiette de la fameuse jambalaya de maman. J’étais tellement perdu dans mes pensées que j’en avais oublié de manger. « Eden, tu n’as rien avalé, tu te sens bien, tu veux qu’on appelle le médecin ? », me demanda ma mère d’un air inquiet. « Non maman ça va, je vais bien. », lui ai-je dis d’une manière peu convaincante. Elle est allée déposer les assiettes dans le lave vaisselle et revint un thermomètre à la main. « Qu’est-ce que tu fais maman ? Mais, puisque je te dis que je n’ai… ». Elle ne me laissa pas le temps de terminer ma phrase qu’elle me le mit en bouche. Sur le moment, je n’espérais qu’une seule chose : Pourvus que mes frères ne l’aient jamais utilisé que par la bouche. Après deux courtes minutes, le thermomètre sonna et indiquait une température de 37,2°C. « Pas de température… Tu n’es pas malade. », me dit-elle, étonnée. Je fronçai les sourcils. « Puisque je te le dis ! » Mon père prit alors la parole. « Alors explique nous fiston, qu’est-ce qui ne va pas ? » Ma mère s’était mise derrière moi et avait posé sa main droite sur mon épaule gauche, comme si elle voulait me donner du courage afin de vider tout ce que j’avais sur le cœur. Mes deux frères terminaient leurs repas alors que les deux autres revenaient après avoir rangé la cuisine. Mon cœur, lui, battait la chamade. « Et bien voilà, j’ai quelque chose d’assez important à vous dire… Et réalité, je suis… GAY ! » Il y eu un silence pesant, je ne savais pas si c’était bon ou mauvais signe. Six paires d’yeux me fixaient. J’étais extrêmement gêné, mes jambes bougeaient nerveusement et je me mordillais la lèvre. Soudain, mon père inspira un grand coup. « Et bien écoute mon grand, c’est la vie. T’es homo, t’es homo… On ne sait rien y changer, c’est comme ça. Et puis tu sais, à partir du moment où tu es heureux et bien dans ta peau, c’est tout ce qui compte pour nous. » Je ne savais pas quoi répondre, c’était la première fois que j’entendais mon père dire quelque chose de ce genre, lui qui était si souvent discret. J’étais ému. Mes frères étaient en train de se concerter, quel plan allaient-ils encore manigancer ? C’est alors que Roy, le plus jeune, se leva. « Frangin, on ne peut pas de cacher que parfois, on avait des doutes mais, on t’accèpte comme t’es et comme c’est bientôt ton anniversaire, on a décidé tous les quatre de se cotiser pour t’offrir ton premier gode ! En espérant que t’en fasses bon usage. » Il me fit un clin d’œil, un petit geste qui me fit sourire, malgré ma stupéfaction. Sourire qu’ils me rendirent tous les quatre. Mon père, lui, croisa les bras et fusilla mes frères du regard. Apparemment, il n’était pas très d’accord pour l’histoire de cadeau. Ma mère, quant à elle, elle souriait également. Toujours derrière moi, elle se pencha et me déposa quelques mots au creux de l’oreille. « Dis, pour ta première fois, n’oublie pas de mettre un préservatif, c’est très important tu sais ? » Je me retournai afin d’être face à elle. « Ne t’inquiètes pas maman, je n’oublierai pas. Je t'aime ! », lui répondis-je en la serrant dans mes bras.

“ New York, septembre 1996 „

Après le lycée, je suis allé dans une école qui proposait des cours artistiques à New York. Mes parents m’avaient payé un appartement sur place et m’envoyaient un peu d’argent. J’ai dû très vite trouver du travail après les cours pour pouvoir survivre dans ce monde de fous. J’ai donc longtemps travaillé dans un bar branché de Greenwich Village. J’étais là en temps que serveur et autant vous dire que je ne me suis pas ennuyé. On dire que… je faisais des « heures sup’ » avec certains clients. Je m’en sortais bien, les cours étaient supers et j’aimais mon job. J’ai dû redoubler ma première car j’avais eu du mal à me faire au mode de vie new yorkais. Mais, trois années après ce petit bémol, je finis mes études pour enfin entrer dans la vie adulte. J’ai quitté mon travail de serveur pour me consacrer entièrement à la photographie. Pendant un an, j’ai eu beaucoup de mal à vendre mes photos mais en 2001, il y eu les attentats du 11 septembre et mes clichés du crash furent très appréciés par le New York Times. En effet, j’étais assez proche des tours lorsque cela est arrivé. Heureusement pour moi, je ne fus pas blessés très grièvement mais, c’est une expérience qui me fera froid dans le dos jusqu’à la fin de mes jours. J’avais pris des risques et ça avait payé. « Monsieur Blažek, si vous le voulez, nous serions très honorés de vous compter parmi nos photographes personnels. » Le quotidien le plus connu à travers le monde voulait m'engagé. Je n’en croyais pas mes oreilles !

“ New York, août 2004 „

Je suis resté un peu plus de trois ans au sain du New York Times. En réalité, je me suis lassé de ce boulot qui n’était pas assez vivant pour moi. Je voulais faire quelque chose de plus moderne, quelque chose de plus… excitant ! J’ai donc trouvé une petite agence de mannequinat qui commençait à se faire connaître du grand public. Elle recherchait un photographe qualifié pour faire des shootings photos de leurs modèles. Quand ils ont su que j’avais travaillé pour le NYT, ils n’ont pas hésité. « Quand pourriez-vous commencer ? », m’ont-ils demandé après avoir regardé une dizaine de clichés que j’avais pris l’année passée. « Je suis libre tout de suite si vous voulez. » « Très bien, viens nous revoir demain matin vers neuf heure avec ton matériel. On a besoin de personnes comme toi dans l’agence, félicitation, tu es engagé. », me dit-il avec un large sourire. Le lendemain, tout est allé très vite. Ils m’ont fait signer les papiers d’embauche et je me suis aussitôt mis au travail. C’était un job vraiment passionnant, chaque jour, je voyais de pures bombes passer devant moi. Quand je vous parlais d’un boulot plus excitant, je ne pouvais pas espérer mieux ! Des shootings photos aux défilés de mode, je n’avais pas le temps de m’ennuyer. J’ai également eu l’occasion de voyager dans le monde entier. Sydney, Paris, Rome, Londres, Tokyo j’ai fais les plus grande et belles capitales de la planète, croisé des mannequins célèbres et fait pleins de nouvelles rencontre très intéressantes. C’est dans ce milieu que j’ai eu ma première relation sérieuse, j’avais vingt sept ans à l’époque. Nous sommes restés un an ensemble avant de se séparés pour une petite histoire de tromperie et de jalousie. Mais qu’est ce que vous voulez, dans ce milieu de vie, c’est extrêmement difficile de résister à un homme musclé à souhait en maillot de bain moulant. Soit, la vie continuait et les aventures ne désemplissaient pas. « Eden, nous en avons longuement discuté ensemble et nous pensons que tu es le plus qualifié pour ce job. » « Très bien. Et de quoi s’agirait-il exactement ? », leurs ai-je demandé assez curieux de savoir de quoi il en découlait. « Nous voulons que tu ailles à Zagreb en Croatie afin de diriger la nouvelle agence de mannequin que nous allons ouvrir là-bas. » Les patrons de l’agence faisait de moi, simple photographe, le dirigeant de la future agence croate. C’était un nouvel envol pour moi, un nouveau tournant de ma vie. Je ne pu qu’accepter leur offre. De plus, par la même occasion, un de mes rêves d’enfance allait se réaliser. J’allais enfin pouvoir voir le magnifique pays d’où provenait ma famille. Je partais pour Zagreb deux mois plus tard.

“ Zagreb, septembre 2011 „

Cela fait maintenant un peu plus de quatre ans que je suis arrivé à Zagreb. Une ville que j’ai adoptée et qui m’a adoptée, elle aussi. Mon agence est désormais connue de beaucoup de monde et j’ai tout ce qu’i me faut. Enfin, j’avais tout ce qu’il me fallait. Pourquoi « avais » ? Et bien pour la simple et bonne raison que j’ai une nouvelle fois fait tout foirer… Il m’apportait tout ce dont j’avais besoin et j’ai tout foutu en l’air. Nous nous étions rencontrés dans un nightclub. J’étais assis au bar, un bon verre de Rajika à la main. Après une journée de boulot, il n’y a rien de meilleur. Je voulu prendre une cigarette mais je m’aperçus que j’avais oublié mon briquet. Surement était-il resté à l’agence. Mais, pas de panique, le nightclub était plein, il me suffisait de demander à n’importe qui, en espérant qu’il est du feu sur lui. Mes voisins de tabouret n’avaient pas de briquets ni d’allumettes, j’en ai d’ailleurs été très étonné. Derrière moi, il y avait un couple. Enfin, c’est ce que je pensais au début. « Pardonnez moi mademoiselle, vous n’auriez pas du feu par hasard ? » Elle me regarda avant de détourner son regard vers son ami. Elle revint une nouvelle fois vers moi, un léger sourire en coin, un peu sournois. « Mais bien sûr. », me répondit-elle sortant un briquet rouge vif de sa poche. Elle alluma ma cigarette. J’ai tiré un coup avant de la remercier. J’allais retourner à ma place lorsqu’elle me rappela. « Excusez moi monsieur, il reste de la place à notre table, ça ne vous dirais pas de venir avec nous ? » « Pourquoi pas, je vais chercher mon verre et je reviens. » Comme quoi, il suffit de pas grand-chose pour faire de nouvelles rencontres. Nous sommes donc restés ensemble à parler de tout et n’importe quoi. Il s’avéra que l’homme qui était avec la jeune femme, Adrian, avait été mannequin avant de devenir propriétaire du Ritz. Ce qui nous faisait un point commun puisque je travaillais également dans ce milieu. Les heures passaient et nos conversations restaient captivantes. Je me plongeais dans les yeux d’Adrian sans m’en rendre compte. J’étais comme hypnotisé. Il était en face de moi et me regardait, lui aussi. « Je vais me rechercher un verre, je vous laisse entre vous. », dit Billie-Jean avant de se rendre au bar. Son regard me captivait, il m’attirait. Si bien que je me suis levé avant de me pencher vers lui. J’étais à quelques centimètres de son visage. « J’espère que je ne fais pas une bêtise. », lui ai dis avant de l’embrasser. Il posa sa main droite au niveau de ma nuque et me rendit mon baiser. Ce soir là, une belle histoire d'amour voyait le jour. Mais trois ans après, ce qui devait arriver, arriva. J’ai toujours joué avec le feu et ce jour là, le feu m’a rattrapé et je me suis brûlé. J’avais déjà trompé Adrian mais, cette fois, je m’en suis vraiment voulu. On m’a toujours dis, « Ce que tu ne vois ne peut te faire de mal. » c’est pourquoi je m’arrangeais toujours pour voir d’autres hommes dans le dos d’Adrian. Mais ce jour là, rien ne s’est passé comme ça aurait dû l’être. Il est rentré plus tôt que prévu. Et moi, j’étais là, sur ce mec que j’avais rencontré à peine deux semaines au part avant. J’ai voulu m’expliquer mais, fou de colère, il m’a mis à la porte. C’était compréhensible et puis, que pouvais-je lui dire ? Que j’étais un gros salop et que je ne savais pas me contenter de l’homme que j’aime ? Car oui, je l’aime toujours mais, il n’est pas question de le lui dire. Je n'aime pas faire le premier pas et je ne pense pas pouvoir changer ça. Ma fierté me perdra. J’ai beau couché avec d’autres, il m’est impossible de l'oublier, de l’éffacer de mes pensées. C’est l’homme de ma vie et c’est de ma faute si je l’ai perdu.