Je ne savais même pas ce que je foutais là, dans cet espèce de gala de charité surfait au possible, où la grande majorité des bouffons de Zagreb se retrouvaient une fois par an, de par les anciennes relations de mon père j’avais eu l’honneur de recevoir une invitation, la bienséance toujours, le décès de mes parents m’avait octroyé l’honneur d’être invité à vie dans ces petites soirées sans intérêt, une sorte de lot de consommation en somme … Seulement voilà je n’étais en aucun cas obligé de venir, pourtant j’étais sorti, je m’étais rendu à ce gala, je ne savais même pas pourquoi moi-même. Pour me prouver que je pouvais encore exister peut être ? Que ma vie ne se résumait pas aux quatre murs de ma chambre d’hôtel pourrie et à mes plans culs. Je souriais doucement un verre de champagne à la main, au beau milieu de la salle de réception, seul. Car oui je me présentais à ces soirées, mais personne ne venait me parler, il faut dire qu’un fils d’une famille morte assassinée ça fait parler beaucoup de gens, et fréquenter cet enfant peu vous exposer aux critiques, alors après les vagues condoléances soufflées avec une tape sur l’épaule on vous ignore, sûrement pour se donner bonne conscience. Ah, la bonne conscience, tous ces riches me dégoutaient, ils n’avaient que leur porte monnaie pour eux, ils n’étaient bon qu’à donner du fric, et encore, certains venaient juste pour les petits fours, toute leur vie était jalonnée de ces petites actions pour se donner bonne conscience, pour pouvoir s’endormir sereinement la nuit, je m’étais toujours juré de ne pas devenir comme eux, de rester moi-même quelque soit la grosseur de mon compte en banque. Je ne voulais pas sombrer dans les travers de cette richesse, alors à la place de la bonne conscience j’avais choisi de consommer, consommer cette petite poudre blanche qui me faisait tant de bien, j’avais choisi une déviance plutôt qu’une autre en fin de compte. Je refusais un autre verre que me présentais un serveur sur un énorme plateau, il fallait que je sorte, j’avais l’impression de crever sur place ici. Mes pas furent rapides et j’arrivais bientôt sur le balcon ouvert pour les fumeurs, ici encore tout le monde m’ignorait, ce qui n’était pas plus mal. Je sortais une clope et l’allumait, après quelques taffes je m’adossais au balcon, l’air frais de la nuit venant me caresser les joues, comme pour m’apaiser, je sentais ma respiration se calmer, ce qui me fit sourire, c’est alors que je pu l’apercevoir. A vrai dire, ce mec je ne le connaissais même pas, mais dès la première fois que je l’avais vu j’avais remarqué sa ressemblance avec … Je n’avais jamais pu oublier son visage, celui qui hante mes nuits depuis que je suis enfant, le tueur qui m’a violé quand j’étais encore innocent. Ce mec devait me prendre pour un taré, à chaque fois que je le voyais je quittais rapidement la soirée, car oui il était également présent à toutes les soirées emmerdantes auxquelles je pouvais participer, était-il un gosse de riche ? Un abruti qui se sentait supérieur à tout le monde ? Ce n’était pas l’impression qu’il m’avait laissé la première fois, hormis son costume taillé sur mesure, sa cravate plus que droite et ses chaussures bien brillantes il ne ressemblait pas à beaucoup de monde ici, et cette fois ci je ne parlais pas du physique. Non il était différent, il dégageait quelque chose d’autre, comme moi il semblait se faire chier, à contre courant de cette ambiance puant l’hypocrisie. Certes il ressemblait à cet homme que j’avais commencé à haïr il y a bien longtemps, mais je ne pouvais pas lui en vouloir, surtout que la ressemblance n’était pas directe, il s’agissait plus d’une morphologie un peu particulière rien de plus, pourtant cela suffisait à me faire paniquer. Cette panique je ne pouvais pas la contrôler, et à chaque fois je fuyais, je fuyais ce que je n’avais jamais voulu voir en face depuis mon enfance, seulement le mec m’avait remarqué plusieurs fois avant que je ne parte en courant, il faut dire que vu les sueurs froides qui montaient tout à coup mon visage devait me trahir. Le masque d’indifférence que je m’étais construit au fil des ans était presque parfait, je parvenais à donner l’illusion de me foutre de tout, ou tout du moins d’être un mec très désagréable pour qu’on me laisse tranquille, il n’avait pas beaucoup de failles, mais mon viol en était une, et je ne pouvais pas rester de marbre quand tout me revenait comme ça en pleine gueule, alors non je ne comptais pas sur ma discrétion. Je m’apprêtais à partir en éteignant ma clope sur le balcon, hors de question de rester ici une minute de plus, quand CE mec vint à ma rencontre, mes angoisses furent plus vives tout à coup et par miracle mon verre ne se brisa pas sous la pression croissante de mon poing :
- « Alors on a peur de rentrer tout seul le soir ? »
Peur de … quoi ? Au départ je ne comprenais pas sa réplique, et j’avalais difficilement ma salive et me rendant compte qu’il n’avait jamais été aussi proche de moi. Il me fallut quelques secondes pour le comprendre, il était totalement extérieur à mon histoire et voir un mec détaler comme ca à cause d’un regard cela pouvait étonner. Je soupirais, il devait me prendre pour un taré qui avait peur de son ombre. Je décidais de reprendre contenance pour qu’il se rende compte que je n’avais pas peur de lui, ce qui n’était pas complètement faux, c’était les souvenirs qu’il ravivait qui m’angoissaient :
- « Peur de rentrer seul ? Hum non pas vraiment, pourquoi ? »
Son air provocateur m’énervait, comme s’il essayait de me piéger ou de se foutre de moi, il faut dire que s’il s’était rendu compte que je le fuyais il pouvait penser pouvoir me ridiculiser avec quelques phrases bien placées, me serais-je alors trompé ? Serait-il aussi chiant que toutes ces personnes qui nous entouraient ? Non c’était impossible, une personne soucieuse des apparences ne m’aurait pas approché, même pour me ridiculiser, parce que cela n’en valait pas la peine, dans leur monde on mettait à terre quelqu’un de populaire, qui pouvait perdre gros, moi je n’étais pas populaire et j’avais déjà trop perdu. Je décidais de ne pas rentrer dans son jeu et de reprendre mon petit jeu du mec désintéressé, après tout c’était la règle ici :
- « Et puis tu pourrais te présenter, moi c’est Stevan, et ne t’inquiète pas, je rentre chez moi tout seul comme un grand quand il fait noir. »
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