2 Décembre 1983. Notre naissance, à Lilou et moi. A 13h10, à Londres.

Décembre 1994. L’hiver et ses petites journées privaient Londres et sa banlieue, entre autre, du pouvoir revitalisant du soleil. Le petit garçon de onze ans que j’étais découvrit sa montre Mickey Mouse de sous son pull pour y déchiffrer l’heure. Je savais qu’il ne fallait pas se fier à la nuit mais elle était là depuis longtemps déjà. Dix neuf heures trente quatre. Des frissons parcoururent mon être tout entier. Papa allait me tuer, au sens propre comme au figuré. Deux options se présentaient ainsi à moi : Rentrer immédiatement et trouver une excuse bidon, ou bien attendre que l’inquiétude remplace l’énervement et ainsi être serré dans les bras plutôt que roué de coup. Les deux options firent rapidement le tour de mon esprit et je me mis à courir à tout rompre dans les ruelles du quartier. Je l’aimai cette banlieue, il y avait quelque chose, un petit sentiment tout particulier qui faisait qu’on avait du mal à s’en défaire. Et puis la capitale à moins de cinq kilomètre assurait un emploi à nos parents. Du haut de mes petites jambes, je rejoignis donc mon lotissement et poussa la porte de derrière, donnant suite à la cuisine. Papa s’y trouvait stoïque, au coté de maman qui avait sa main posé sur son bras. « Spencer s’il te plait ne fait rien. Il a certainement une bonne raison, hein mon chéri. Et puis, ce n’est qu’un enfant voyons. » Maman aurait beau lui dévoiler tout un panel d’argumentation, que lui, ‘Spencer’, m’aurait quand même frappé jusqu’au sang. J’avais quarante trois minutes de retard, je n’avais donc pas prit ma douche et fini un exercice de mathématiques. C’était le prix à payer. Et ses points d’adultes s’écrasaient violemment sur ma peau d’enfant. Maman hurlait, hurlait jusqu’à la mort. Lilou pleurait, pleurait à s’en arracher les yeux. Et moi, Cayden, je subissais. Au final, je rentrais dans cette doctrine : Je n’avais pas été sage, je n’avais pas obéis. Un enfant pas sage qui n’obéit pas doit être frappé. Foutaises.

Avril 1997. Maman n’est plus la même qu’avant depuis trois ans environs. Elle est distante –elle a une autre vie ailleurs. Son travail lui prend beaucoup de son temps et elle ne vit presque plus avec nous. On ne voit pas la couleur de l’argent qu’elle gagne, alors papa, est obligé de travailler plus qu’avant. La vie n’a rien de drôle à Londres. Lilou et moi on s’occupe mutuellement l’un de l’autre. Moi j’ai compris ce que c’était que vivre avec ce genre d’homme qu’est mon géniteur. Lilou elle, cherche toujours ce petit truc qui le fera sortir de ses gongs. Les coups ne sont plus pour moi, mais pour elle. Et en fait, ça fait encore plus mal qu’avant : la douleur la plus vive est celle morale quand on voit le nez de sa jumelle saigné, pas quand c’est son propre nez qui saigne. Maman passe de temps en temps, elle ne reste jamais longtemps, et heureusement parce qu’elle se dispute avec papa violemment, alors c’est mieux quand elle n’est pas là. Rapidement, papa ramène d’autres femmes, qu’on voit seulement pendant un diner. Toute la nuit ils baisent, j’en suis conscient, je suis jeune mais pas con. Le lit cogne contre le mur, elles hurlent, il hurle et au petit déjeuner elles ne sont pas là –papa non plus vu qu’il dort. Notre quotidien change, évolue, pas toujours dans le bon sens, certes.

Fin 1987. Divorce officiel. Il était temps bordel. Lilou et moi on a bientôt 15 ans. On fait les cons, mais on est fusionnel. Il y a un petit truc génial entre nous. Elle représente beaucoup pour moi, c’est une certitude. Là débute une lutte impressionnante pour la garde. Mes parents se déchirent, et nous, tout ce qu’on gagne, c’est le foyer. Trois mois et deux semaines passées là bas, pour finalement partir vivre à Paris avec Maman et son copain qui a huit ans de plus que nous. Un ‘frenchy’. Ca plait aux vieilles britanniques.

Mai 2000. La vie est différente à Paris. Cela fait deux ans environs qu’on y est. On se débrouille plutôt bien avec la langue. Maman a un boulot, pas le même mec qu’au début. Kevin ne nous manque pas. Tout pour être heureux, et pourtant. Rien ne va comme il faudrait. Le lycée est une grosse mascarade à la con, j’y suis, plus ou moins. Et avec des potes, on opère les pires conneries encore jamais faites à ce jour tandis que Lilou est mon opposé. Son attitude studieuse m’agace, et m’excite à la fois. Lilou est plus que ma sœur, elle m’attire comme m’attire les autres filles du bahut, puissance dix. Elle représente un idéal inaccessible. Alors elle et moi on oublie notre lien du sang, et on tente, à l’abri des regards. Les relations frères/sœurs font peur. Nous risquons de faire peur. Calé dans ses bras, c’est comme être enfermer dans une bulle aseptisée. Rien ne peut nous arriver, on est protégé des autres et de nous même.

Décembre 2001. L’amour n’empêche pas les conneries. Nous avons dix huit ans. La majorité en France comme dans pas mal de pays. Et c’est la fête. On boit. On fume. On se drogue. On plane. Et faut forcément que tout dérape, sinon, ça n’a rien de drôle. Nous étions déjà bien imbibés, dans tous les sens du terme. Je m’approchais doucement pour rejoindre Lilou sur la piste de danse. Glissant délicatement mes mains sur son ventre, elle sursaute et se retourna avec violence. Elle était furieuse et surtout méconnaissable. Elle semblait changée alors que l’on s’était embrassé deux heures au paravent. Après m’avoir repoussé, elle se dirigea vers un autre homme à qui elle s’agrippa. Mes dix huit ans étaient un fiasco, parce que celle que j’aimais en aimais un autre. Lilou venait de me détruire complètement, je n’avais certainement aucune idée de ce qui allait suivre.

Ma vie partait en miette. J’étais un bon à rien, inutile de faire une thèse là-dessus. Je n’avais plus rien ni personne sur qui compter. J’étais véritablement seul face à moi-même. Et tout le monde ce qui se passe dans ces moments là. Je trouvais donc refuge dans des sources sûres : L’alcool et l’héroïne. Aucune drogue à part elle n’avait su me satisfaire, j’étais donc accroc à elle, comme aux soirées qui pouvaient mal tourner. Je vivais chez ma mère, tandis que Lilou avait emménagé chez son petit ami. Je travaillais dans un Peep Shows l’après midi, avant de me rendre dans le bar où j’étais barman. Mon boulot ne tenait qu’à un fil. J’étais lamentable. J’avais honte de moi, comme ma mère.

Mes problèmes d’alcools et de drogues étaient des passades. Des périodes de ma vie où tout, bien sur, allait mal au même moment. Et en dehors de ces périodes là, j’étais un homme totalement différent. Préférant les hommes aux femmes, j’assumais avec courage cette différence qui définissait la personne que j’étais. Même si s’assumer signifiait aussi devenir responsable et arrêter de dépenser. Déménager en Croatie était justement le but premier. Recommencer une vie, faire des rencontres marquantes. Même si ma bouteille de whisky et ma dose d’héroïne m’accompagnait dans chacun de mes faits et gestes.

A Zagreb depuis : 3 ans.